Le lavement des pieds: de la domination au service
Laver les pieds, c’est la « podothérapie » proposée par Jésus ! Une histoire de pieds pour une autre manière d’être en relation. Face au mal, aux idées de grandeur et de domination, Jésus exprime en gestes quelle est la liberté de servir et quelle est sa seigneurie.
Imaginons la scène un instant. Les douze disciples sont là, autour de la table. L’atmosphère est aux discours d’adieux. Un des douze va lever le talon contre Jésus (Jn 13.18). Ce dernier interrompt le cours du repas pour laver les pieds des disciples. Il bouscule l’ordre des choses. En effet, à l’époque, on se lavait les pieds soi-même, après un déplacement sur les chemins poussiéreux de Palestine. Ou alors un disciple pouvait laver les pieds de son rabbi – en signe d’attachement profond. Enfin, on pouvait exiger d’un esclave, mais d’un esclave non juif uniquement, qu’il lave les pieds.
Jésus bouscule les conventions et la hiérarchie établie : le rabbi lave les pieds de ses disciples ! Le Maître retrousse les manches et fait le sale boulot ! Jésus met en gestes sa manière d’être Seigneur.
Servir ou dominer
Les seigneurs du monde dominent, dominent sur les nations et se font appeler bienfaiteurs (Lc 22.25). C’est la vision critique de Jésus. Les seigneurs dominent. Le Seigneur, lui, lave les pieds. Et, fait frappant, personne ne les lui lave ! Son geste ne renvoie pas à lui-même. Il n’agit ni en bienfaiteur ni en démagogue. Son geste renvoie les disciples les uns vers les autres. Le lavement de leurs pieds veut susciter une communauté de lavement de pieds. Le geste du Maître doit enclencher un nouveau mode de relation, au sein de la communauté des disciples. Un geste à portée communautaire.
C’est un geste de serviteur, pas un geste de dominateur. Un geste de serviteur en ce qu’il exprime la véritable liberté : Jésus choisit ce geste incongru. Il n’est pas la personne adéquate pour ce travail. Mais Jésus choisit ce geste. Puis il le confie à ses proches comme une mission.
La communauté chrétienne reçoit cette mission : poser des actes et des gestes de service et non de domination. Des actes et des gestes volontaires qui surprennent et bousculent l’ordre établi.
Vrai ou faux service
On peut rendre service, animé par des motivations de domination. Un quaker contemporain (Richard Foster, Éloge de la discipline, Vida, 1993) parle alors de service pharisaïque. Il le décrit ainsi : le pharisien choisit les grands services, il a besoin de récompenses extérieures, il s’inquiète surtout des résultats, il choisit qui servir, il agit ponctuellement, il est insensible et, finalement, il brise la communauté.
Jésus lui choisit le sale boulot. Il lave les pieds des douze dans la discrétion de la chambre haute. Il n’attend rien en retour. Il lave les pieds de celui qui le trahira, de celui qui le reniera et de ceux qui prendront la fuite. Il servira jusqu’à son dernier souffle. Il laisse Pierre exprimer son refus. Il construit une communauté.
Se laver les pieds ?
Le Maître est le seul à qui on ne lave pas les pieds. Il invite ses disciples à accomplir mutuellement ce geste. Choisir de laver les pieds, accepter que ses pieds soient lavés. Choisir de servir, accepter d’être servi. Pour les disciples, les deux aspects sont à vivre.
Certaines communautés chrétiennes pratiquement le lavement de pieds. On s’y lave les pieds mutuellement, pour exprimer une attitude de service mutuel dans l’amour fraternel. Qu’en penser ? Littéralisme infantile ? Interprétation douteuse ? Prime à l’hypocrisie ?
Et si ce geste, bien qu’étrange dans le contexte occidental, proposait une pédagogie du service ? N’avons-nous pas besoin de gestes qui apprennent un mode de vie en fidélité au Maître ? Des gestes surprenants et réciproques qui expriment une relation de service et non de domination ? Une pédagogie de lavement de pieds mutuel qui construit la communauté chrétienne ?
Dans l’histoire de la passion du Seigneur, il est question en filigrane de deux bassins. Le bassin de Jésus, dans lequel il lave les pieds des disciples, le bassin de Pilate dans lequel il se lave les mains. Le bassin de Pilate montre qu’il a beau dominer et être un seigneur, il n’est pas libre, il n’est pas libre de ses décisions. Le bassin de Jésus indique qu’elle est la vraie liberté : être libéré de soi-même pour servir.
Michel Sommer - Cours FBSE sur ce thème à venir!
« Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres : car c’est un exemple que je vous ai donné ; ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. » (Jn 13.14-15)
Article publié dans les Cahiers de la Réconciliation, n° 2-1999, p. 30-31 (revue du Mouvement International de la Réconciliation)