Le paradoxe de la conversion

À la question « qu’est-ce qu’un chrétien ? », les évangéliques répondront : « quelqu’un qui a vécu une expérience de conversion ». La conversion est l’étape d’un « choix personnel et d’un engagement individuel »[1] dont découle naturellement un baptême d’adulte.  L’accent est placé sur la réponse humaine personnelle qui est vue comme un choix individuel qui touche tous les domaines de la vie : l’intellect, les émotions,  la perception du sens de la vie et la vie relationnelle. En se convertissant, le chrétien fait le choix d’entrer dans une relation privilégiée et réconciliée avec le Dieu de Jésus-Christ mais aussi dans une communauté de foi : l’Église. Dans les milieux évangéliques, cette expérience est celle qui garantit l’authenticité de la foi : un chrétien converti est considéré comme un « vrai chrétien » par opposition à ceux qui s’identifient au christianisme uniquement en tant que tradition religieuse. Cette conversion peut être l’expérience de personnes qui ont grandi dans les milieux chrétiens, mais aussi de personnes extérieures, avec ou sans autre religion, qui ont été touchées par le message de l’Évangile.

 

La conversion implique une rupture

Lorsqu’on demande à quelqu’un de raconter sa conversion, c’est-à-dire son « expérience de mutation », que veut-on dire précisément ? Le point culminant de sa décision pour Dieu ou un récit revisité de sa vie qui met en lumière le cheminement qui s’est opéré ? Il n’est pas rare de rencontrer des chrétiens capables de donner la date exacte du jour où ils se sont convertis. Avant il y avait les ténèbres, le péché, la violence, la haine et après : la lumière, le pardon, la paix et l’amour. Saul de Tarse a vécu ce changement radical. En un instant, pense-t-on, Saul qui persécutait les chrétiens, est devenu l’apôtre Paul qui sera une bénédiction pour l’Église et la propagation de l’Évangile. Sa situation illustre bien le sérieux de l’appel à suivre Christ, à mourir et à ressusciter avec lui.

 

La conversion implique une continuité

Pourtant, si l’on en croit les sciences humaines, cette expérience de rupture absolue et concentrée en un événement n’est pas la plus répandue. De nombreux chrétiens, et particulièrement ceux qui ont grandi et évolué dans une Église, peinent à dater leur expérience de conversion ou ont l’impression de ne pas avoir de réel témoignage à raconter. Pour les personnes dans cette situation, la pression peut alors être grande de trouver une « bonne histoire » à raconter, quitte à broder un peu, ou de douter chroniquement de leur conversion. Certains sont paralysés dans l’attente de vivre  « le moment de conversion » alors qu’ils connaissent Dieu depuis des années et qu’il ne leur manque qu’un positionnement clair. S’ils sont amenés à donner leur témoignage, ils hausseront les épaules en disant qu’ils ont grandi dans une famille chrétienne puis donneront quelques moments importants dans leur parcours spirituel. Ils ne pourront pas nommer un instant précis où tout a basculé dans un feu d’artifice émotionnel.

Certains disent avec honnêteté qu’ils ne savent pas vraiment à quel moment ils sont devenus chrétiens, mais qu’ils constatent l’œuvre de Dieu dans leur vie. Pour ces chrétiens la conversion repose davantage sur un processus étalé sur des mois, des années ou même une vie et qui aboutit à un engagement à suivre le Christ, que sur un événement unique et transformateur. S’il est difficile de dater la conversion de façon précise, n’a-t-elle pour autant pas eu lieu ?

Dans la situation de conversion de Saul de Tarse évoquée précédemment et qui sert souvent d’histoire-type de la conversion radicale, la préparation a aussi joué un rôle clé. Il était issu d’une famille juive, donc monothéiste, et est devenu un pharisien lettré qui maîtrisait les Écritures. Il avait eu des contacts avec des chrétiens et est notamment cité comme faisant partie de ceux présents lors de la lapidation d’Etienne (Actes 7.58). Il avait probablement étudié les hérésies propagées par Jésus de Nazareth pour justifier et défendre sa campagne de persécution. Tous ces éléments étaient déjà en place avant sa conversion, mais ce n’est que quand Dieu l’a arrêté que tout a basculé pour lui. Il s’est écroulé puis s’est relevé pris de cécité à l’image de celle qui l’avait accompagné jusque-là. Sa conversion spectaculaire, bien que clairement définie dans le temps et racontée avec de nombreux détails dans le livre des Actes a bel et bien été préparée tout au long de sa vie. Comme dans cet exemple, la conversion est bien souvent un mélange de continuité et de rupture : continuité dans le processus et rupture dans les changements qui s’opèrent et qui transforment les cœurs à l’image de Christ.

Retenons que la conversion est un point de convergence, un rendez-vous divin orchestré par le Saint-Esprit où tout s’organise de façon nouvelle et pousse une personne à se positionner face à Dieu. Les routes qui convergent vers ce rendez-vous sont diverses et variées. Que la conversion soit progressive, radicale, ou les deux, il est important qu’elle ait eu lieu. La conversion n’est pas un modèle unique, mais la manière toute particulière dont l’histoire de Dieu vient rencontrer une vie individuelle et l’inscrit au sein de son peuple. Quelle place y a-t-il pour exprimer la conversion de diverses manières ? L’Église a beaucoup à gagner à ce que chacun puisse formuler le chemin qui l’a mené à Christ de la manière la plus authentique possible sans le résumer au moment de la prise de décision. De cette manière, toute l’Église pourra être encouragée dans la réalité de la présence de Dieu, dans l’expression de sa diversité et dans l’exercice de ses dons.

Ceci est un extrait d’un article qui peut être lu dans son intégralité dans les cahiers de l’école pastorale (3/2016).

[1] « On ne naît pas évangélique, on le devient par choix personnel et engagement individuel. C’est ce qui explique l’importance accordée au baptême d’adulte. Celui-ci est l’expression publique d’une foi vécue et assumée, à l’opposé d’une simple tradition. » (CNEF)

Ce contenu a été publié dans Église et communauté par Marie-Noëlle Baecher-Yoder. Mettez-le en favori avec son permalien.