Une interview d’Alexandre Nussbaumer qui permet de mieux comprendre ce qu’est-le caractère en spiritualité chrétienne.
Alexandre Nussbaumer, es-tu un homme de caractère ?
Je l’espère ! Mais à une telle question, ce sont mes proches qui devraient répondre.
Jésus a demandé à ses disciples : « Et pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16.15). C’est Pierre qui va affirmer « Toi, tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16.16). Ainsi, « qui suis-je ? » est directement en lien avec l’empreinte que je laisse sur la vie des autres et qu’ils sont mieux à même d’exprimer.
Comment définir la notion de « caractère » en théologie ?
Partons d’une définition simple du caractère comme « manières habituelles de se comporter, de réagir[1]. » Le niveau des comportements représente la partie émergée, visible, de l’iceberg caractère. Descendons un peu plus profondément, avec la définition qu’en propose le philosophe Paul Ricœur : « le caractère c’est toujours ma manière propre de penser, non ce que je pense. […] pouvoirs, motifs, vouloir, tout en moi porte la marque d’un caractère[2]. » Ainsi, le caractère s’exprime dans ma manière d’être présent au monde, à moi-même, à Dieu. La théologie va s’intéresser à l’action de Dieu au sein de cette structure plutôt stable. Comment la vie de Jésus peut-elle amener quelqu’un à une nouvelle manière de vivre ? Comment Paul peut-il écrire aux Galates : « … ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi. Car ma vie humaine, actuelle, je la vis dans la foi du Fils de Dieu… » (Ga 2.20) ?
À quoi ressemble une personne de caractère ?
Le caractère a quelque chose à voir avec les notions d’intégrité et de constance. Une personne de caractère montre le même visage dans toutes les situations.
L’éthique chrétienne n’est-elle pas là pour nous aider à différencier entre ce que les chrétiens doivent faire et ce qu’ils ne doivent pas faire pour respecter la volonté de Dieu ?
Faire/ne pas faire est l’approche privilégiée d’une focale ciblée. L’éthique du caractère propose une focale large, elle s’intéresse davantage au registre être/ne pas être. Plutôt que de demander : « ai-je droit de faire telle chose ? », elle demandera : « quel genre de personne vais-je devenir si je fais telle chose ? » Lorsque Paul écrit aux Corinthiens « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’est pas constructif » (1 Co 10.23), il inscrit « permis/pas permis » dans une perspective plus large : qu’est-ce que je construis au juste ? On a parfois besoin d’une focale courte, parfois d’une focale plus large.
Quelle est la place de la Bible et de la prière pour construire le caractère chrétien ?
Elles en sont des piliers essentiels. Un caractère s’appuie sur plusieurs piliers. Notamment un récit/histoire qui permet d’incorporer le temps. Par exemple, Abraham, Moïse, Daniel, Jésus, Paul, Pierre, les martyrs de l’Apocalypse adorent Dieu seul et refusent d’adorer un pouvoir humain. Cette répétition permet au lecteur de comprendre qu’adorer Dieu seul est au cœur du caractère chrétien et que cela peut aller jusqu’à coûter la vie. Un caractère se construit aussi par l’acquisition de compétences qu’on appellera vertus ou encore habitudes opératives. La prière est une vertu essentielle. Agir en chrétien ne peut se faire qu’au travers d’elle.
Quelles sont les conséquences d’un manque de caractère ?
L’hypocrisie (littéralement, se cacher sous un masque), la séduction ou la flatterie, la tromperie, l’opportunisme. Ce sont des manières d’être piloté davantage par le bénéfice escompté d’une situation que par un fond intègre et constant.
Comment grandir en caractère chrétien ?
Suivre la formation « Chrétiens de caractère » proposée prochainement par le Bienenberg à Tavannes est une bonne première proposition ! Pour ceux plus avancés, Dietrich Bonhoeffer recommandait aux étudiants de son séminaire de commencer toutes leurs journées par une heure de prière. Grandir en caractère chrétien, c’est laisser Dieu imprégner toute notre personne et cela passe par une forme d’abandon confiant en Dieu.
Quel lien vois-tu entre l’éthique du caractère et la théologie anabaptiste ?
Dans cette ligne du caractère, Hauerwas énonce que la tâche de l’éthique théologique est « d’énoncer le langage de la foi en termes de la responsabilité chrétienne d’être formé en la ressemblance du Christ[3]. » Une conviction très anabaptiste ! Un abandon confiant en Dieu ? Voilà une bonne définition de la Gelassenheit anabaptiste. L’insistance de l’éthique du caractère sur la vision, sur la communauté, sur le récit, fait écho à des convictions centrales de l’anabaptisme sur l’eschatologie, la discipline d’Église et le sermon sur la montagne. Ainsi l’éthique du caractère peut être utilisée comme une grille de lecture de l’anabaptisme.
Pour aller plus loin
Découvrez la formation « Chrétiens de caractère », démarrage le 5 octobre 2024 à Tavannes, BE (Suisse)
[1] François Lelord, Christophe André, Comment gérer les personnalités difficiles, Paris, O. Jacob, 2010, p. 10.
[2] Paul Ricœur, Philosophie de la volonté 1. Le volontaire et l’involontaire, Paris, Aubier, 1949, p. 344-345.
[3] Stanley Hauerwas, Vision and Virtue. Essays in Christian Ethical Reflection, Notre Dame, Fides Publishers, 1974, p. 29.