Comment lire la Bible de la bonne manière ? Cette question est importante, mais comme lorsque l’on ouvre une poupée russe, elle conduit à d’autres questions : que veut dire « de la bonne manière » ? Chacun décide-t-il de la bonne manière, qui devient finalement « sa » bonne manière ? Et puis, parmi ces différentes manières, qui décide de qui a raison ?
Il y a bien sûr place pour une diversité légitime de compréhensions, mais toutes les interprétations se valent-elles ? Comment savoir ?
Ces questions sont à l’arrière-plan de la formation Points chauds, proposée dès l’automne 2018 par le Centre de Formation du Bienenberg (voir infos à la fin de cet article). Pour alimenter la réflexion, je partage des pensées du théologien anglican N. T. Wright[1] sous forme d’extraits traduits en français de l’un de ses livres. Il est l’un des théologiens contemporains qui contribue à un renouveau dans la manière de lire les Écritures.
« Nous avons besoin […] d’une vision de l’Écriture à plusieurs niveaux […]. Nous devons reconnaître l’importance vitale des genres littéraires, du contexte, des styles littéraires, etc., et reconnaître tout ce que cela change de manière significative dans notre manière de lire les textes concernés. Plus important encore, nous devons comprendre la distinction entre Ancien et Nouveau Testaments, pourquoi cette distinction existe, ce qu’elle signifie et ce qu’elle ne signifie pas. Si nous ignorons ces divers aspects, nous en restons une fois de plus au débat stérile entre des personnes qui disent : « La Bible dit…» et celles qui répondent : « Oui, mais la Bible dit aussi qu’il faut lapider les adultères, et qu’il ne faut pas porter des habits faits de deux tissus. » Il nous faut de manière urgente dépasser ce type d’obstacle inutile et aller vers un rapport plus sérieux avec l’Écriture.
Ma proposition d’une herméneutique [théorie de l’interprétation] en « 5 actes » trouve ici sa place[2]. Comme je l’ai démontré en détail ailleurs, la Bible elle-même propose un modèle pour la lire, qui implique de savoir où nous sommes au sein de son récit global et de savoir ce qui est approprié au sein de chacun de ses 5 actes. Ces actes sont : la création, la « chute », Israël, Jésus, et l’Église ; ils forment les étapes différenciées au sein du grand récit divin que l’Écriture propose elle-même.
[…]
Que l’on adopte ou pas ce schéma particulier d’interprétation, il est vital que nous comprenions l’Écriture, et notre relation avec elle, à l’aide d’une sorte de grand récit narratif qui donne du sens aux textes. Nous ne pouvons réduire l’Écriture à un ensemble de « vérités intemporelles » d’une part, ni à une simple nourriture pour la piété d’autre part, sans être profondément infidèles, à un niveau structurel, à l’Écriture elle-même.
Selon le schéma que je propose, nous vivons actuellement au sein du 5e acte, le temps de l’Église. Cet acte a commencé à Pâques et Pentecôte ; ses scènes d’ouverture étaient la période apostolique ; sa charte est le Nouveau Testament ; son but, sa scène finale prévue, sont clairement décrits dans des passages comme Rm 8, 1Co 15 et Ap 21-22. Le point central de ce modèle, qui est au cœur d’une vision à plusieurs niveaux de « l’autorité de l’Écriture » […], est le suivant : ceux qui vivent au sein du 5e acte ont une relation ambiguë avec les 4 actes précédents, non parce qu’ils y seraient infidèles, mais précisément parce qu’ils y sont fidèles comme à une partie du récit. […] Il nous faut agir de manière appropriée pour ce moment du récit ; ce sera en continuité directe avec les actes précédents (nous ne sommes pas libres de suivre soudainement un autre récit, une tout autre pièce de théâtre), mais une telle continuité implique aussi de la discontinuité, un moment où des choses véritablement nouvelles peuvent se produire et se produisent. Il nous faut être loyal de manière féroce à ce qui a précédé et joyeusement ouvert à ce qui doit arriver ensuite.
[…]
Nous pourrions peut-être le dire autrement. Lorsque nous lisons Ge 1-2, nous lisons ces textes comme le 1er acte d’une pièce de théâtre dans laquelle nous vivons le 5e acte. Lorsque nous lisons Ge 3-11, nous lisons ces textes comme le 2e acte d’une pièce dans laquelle nous vivons le 5e acte. Lorsque nous lisons tout le récit d’Israël d’Abraham jusqu’au Messie (comme Paul en brosse le tableau dans Ga 3 ou Rm 4), nous lisons ces textes comme le 3e acte. Lorsque nous lisons l’histoire de Jésus, nous sommes confrontés au 4e acte, acte décisif et culminant, qui n’est pas l’acte dans lequel nous nous trouvons – nous ne suivons pas Jésus à travers la Palestine, nous ne le voyons pas guérir, prêcher et faire la fête avec les exclus et nous ne nous interrogeons pas sur son projet d’aller une dernière fois à Jérusalem. Mais ce 4e acte reste, bien sûr, le fondement sur lequel l’acte présent, le 5e, est basé. Raconter l’histoire de Jésus comme le point culminant de l’histoire d’Israël et comme le focus de l’histoire du projet rédempteur du Créateur […] est l’une des tâches majeures au sein du 5e acte d’une part, et l’un des grands moments fondateurs de cet acte d’autre part.
Vivre dans le 5e acte présuppose donc tout ceci, et demande d’être conscient de vivre en tant que peuple à travers lequel le grand récit en question avance maintenant vers sa destination finale. Lorsque nous y parviendrons, il n’y aura pas de temple, pas de sacrements, pas même osons-nous dire de prière du type de celle que nous connaissons maintenant – car tout sera englouti dans l’amour et la présence immédiate de Dieu ; de même, il n’y aura pas besoin de lire l’Écriture, non parce qu’elle sera non pertinente, mais parce qu’elle aura été la carte vers la destination que nous aurons alors atteinte. […]
Cela signifie – ce point est d’une énorme importance pour les discussions contemporaines – que notre relation au Nouveau Testament n’est pas la même que notre relation à l’Ancien Testament. Nous pouvons affirmer cela sans amoindrir notre attachement à l’Ancien Testament en tant que partie cruciale et irremplaçable des « Saintes Écritures ». Le Nouveau Testament est la charte fondatrice du 5e acte. Il n’y a pas eu de changement d’acte dans le grand récit de Dieu avec le monde (malgré de nombreux changements dans la culture humaine) entre le temps des apôtres et des évangélistes et le nôtre ; rien ne correspond au grand double changement d’actes (de l’acte 3 à l’acte 4, et de l’acte 4 à l’acte 5) qui a eu lieu entre leur époque et celle de la Torah, des prophètes et des autres écrits. […]
Nous qui nous considérons chrétiens devons être totalement engagés à raconter l’histoire de Jésus à la fois comme le point culminant de l’histoire d’Israël et comme le fondement de notre propre histoire. Nous nous considérons comme les successeurs directs des Eglises de Corinthe, d’Éphèse et d’ailleurs, et nous devons prêter attention à ce qui leur a été dit comme si cela nous était dit. Nous ne pouvons relativiser les épîtres en invoquant l’éloignement du temps entre elles et nous, ni en laissant entendre que des changements culturels profonds seraient intervenus entretemps et qui rendraient ces épîtres non pertinentes voire trompeuses. De manière essentielle, le discipulat chrétien authentique voit le Nouveau Testament comme le fondement du 5e acte en cours (et dont l’issue est ouverte) et ce discipulat reconnaît que le Nouveau Testament ne peut être remplacé ni augmenté. Le 5e acte continue, mais sa première scène est irremplaçable, et reste le critère par lequel les différentes improvisations des scènes suivantes doivent être jugées. Voilà ce que signifie pour l’Eglise de vivre sous l’autorité de l’Écriture – ou plutôt […] sous l’autorité de Dieu par l’intermédiaire de l’Écriture.
Le Nouveau Testament nous offre des aperçus de la fin du récit : non pas « aller au ciel », comme beaucoup de chants et de prières le disent, mais la nouvelle création. Notre tâche est de découvrir, par l’Esprit et la prière, les manières appropriées d’improviser le script entre les événements fondateurs et la charte d’une part, et l’avènement complet du Royaume d’autre part. Quand nous avons saisi ce cadre, le reste commence à trouver sa place. »
[1] N.T. Wright, Scripture and the Authority of God – How to Read the Bible Today, Harperone, 2013 (première publication en 2005). Les extraits ci-dessus proviennent des pages 121-127.
[2] N.T. Wright, The New Testament and the People of God, Fortress, 1992, chapitre 5.
Infos en bref
Points chauds – Une formation pour interpréter les textes bibliques et dialoguer respectueusement.
- Un week-end d’introduction au Bienenberg et 11 samedis entre octobre 2018 et mars 2020 à Tramelan (CH) et à Pulversheim (F).
- Thèmes traités à deux voix à chaque fois : la prédestination, l’homosexualité, l’œcuménisme, les dons de l’Esprit, le ministère pastoral féminin, le sens de la mort du Christ, non-violence ou guerre juste, foi chrétienne et autres religions, Israël, l’écologie, la prière, guérisons et miracles.
Inscriptions ici.