Bible

Mobilisation d'une Église pour FBSE

Un article de Lucile Anger, ancien de l’Église mennonite de Colmar-Ingersheim en concertation avec le collège d’ancien.

Au cours des 12 dernières années, 19 membres de l’Église de Colmar-Ingersheim ont suivi la Formation Biblique pour le Service dans l’Église (FBSE) du Bienenberg. D’autres les avaient précédés plus loin dans le temps. Comment expliquer un tel engouement ?

Donner envie

Les raisons sont diverses et s’entremêlent. Il est difficile de définir le point de départ, un peu comme répondre à la question de savoir qui de l’œuf ou la poule est premier ! Il est certain que la formation au Bienenberg est encouragée par les responsables d’Église, qui l’ont eux-mêmes suivie, afin d’être mieux équipés pour le service.

Cela dit, le fait de côtoyer dans l’Église ceux qui sont à FBSE est la meilleure invitation à s’y engager soi-même. En effet, tous ceux qui en reviennent sont enchantés, boostés. Du coup, certains s’inscrivent sans y avoir été spécialement invités, parce qu’ils y voient un moyen d’approfondir leur foi, ou parce qu’ils ressentent le besoin d’être nourris dans leur(s) engagement(s). Mais surtout, les personnes qui ont bénéficié de FBSE désirent que d’autres puissent en bénéficier à leur tour. Certains ont plus particulièrement à cœur de discerner ceux qui pourraient suivre cette formation, d’aller les voir pour leur en parler et les y inviter personnellement, ce qui a plus d’impact qu’une information à tous.

Atouts de la formule

Dans cet effet d’entraînement, d’autres éléments entrent en jeu, notamment lorsque plusieurs personnes de la communauté y vont en même temps : le fait de covoiturer pour s’y rendre — ce qui offre du temps d’échange —, de pouvoir vivre ensemble sur place, lors des repas, en partageant la même chambre, les mêmes enseignements, renforce les liens. C’est l’occasion de rencontrer des chrétiens d’autres Églises (pas seulement mennonites), de s’écouter et d’échanger. C’est aussi un moment, hors du cadre habituel (famille, travail, Église), propice au recul et au ressourcement. La formule du vendredi soir au samedi après-midi est bien adaptée à la plupart des situations. Et la variété des enseignements comme des intervenant(e)s, leur ouverture, sont enrichissants et permettent à chacun de trouver ce qui lui correspond.

Implication concrète de l’Église locale

L’Église de Colmar-Ingersheim, parce qu’elle estime que la formation est importante, prend en charge une partie des frais, de même que ceux d’EFraTA, des formations décentralisées pour responsables d’Église, de la formation au BAFA[1]… De plus, pour permettre aux couples ayant de jeunes enfants de se libérer pour se former, les autres parents s’organisent pour prendre en charge les enfants. Par ailleurs, les week-ends de formation, avec les sujets traités, sont évoqués lors des annonces, le dimanche qui précède ; les personnes qui y participent sont nommées, et sont à nouveau citées lorsqu’elles ont validé leur formation. Cela rend FBSE familier et associe la communauté à ce que certains de ses membres entreprennent.

Impact dans l’Église

L’Église est encouragée dans sa « politique » de formation, car elle en constate les bénéfices, tant au niveau individuel que communautaire : les apports bibliques et théologiques, ainsi que leur implication éthique, nourrissent les enseignements (prédications, études bibliques, catéchisme…), plus riches et fondés. Les spécificités et valeurs anabaptistes sont davantage mises en avant, ce qui crée un rééquilibrage par rapport à certains courants évangéliques, au niveau du contenu des enseignements, mais aussi de la vie de l’Église (sens de la cène, du baptême, du salut, de la communauté, vie de disciple, etc.). Même si différentes tendances théologiques et spirituelles coexistent, il y a une impulsion. La formation consolide les engagements, voire l’aide à prendre son envol. Il se trouve que tous ceux qui sont depuis un certain temps au conseil d’Église (sauf un qui a suivi une autre formation par le passé), ainsi que les anciens, ont suivi la formation FBSE (et certains d’entre eux également EFraTA). Cela contribue à la cohésion des équipes, aide à parler d’une seule voix, ce qui transparaît dans la vie de l’Église, et souligne le lien fort entre formation et service.

[1] Formation au BAFA en lien avec le grand nombre d’enfants de tous âges dans l’Église d’Ingersheim.

L'oecuménisme, une question débattue

Avant chaque journée Points chauds, un exercice préparatoire est donné aux participants pour se préparer à ce qu’ils vont entendre. La prochaine journée traitera de l’œcuménisme. La consigne? Regarder la vidéo ci-dessous et répondre aux deux questions ci-dessous. Et vous qu’en dites vous?

L’œcuménisme

Conférence de Campus protestant : Les mots de la foi
Idée de Antoine Nouis et Jean-Luc Mouton. Présenté par Gérard Rouzier

Plusieurs raisons (secondaires) plaident en faveur de l’œcuménisme :

  • L’esthétique : L’unité est préférable à la division.

  • L’évangélisation : Les divisions sont un contre-témoignage.

  • Le souci pastoral : Il y a de nombreux couples interconfessionnels dans nos Églises.

Raison fondamentale : L’œcuménisme est une exigence spirituelle

Les différences appartiennent à la création. Elles sont dans le monde, nos Églises, nos familles, etc.

Face à ces différences, il y a deux péchés à éviter :

  • L’uniformité : Nier la diversité en voulant que tout le monde soit pareil. Un des Pères de l’Église, Basile de Césarée, a dit : « C’est la même eau fraîche et féconde qui tombe sur le champ afin que fleurissent rouge le coquelicot, rose la rose et bleu le bleuet. »

  • L’indifférence : Désinvolture qui consiste à ignorer ceux qui sont différents de nous et à croire que nous n’avons pas besoin les uns des autres.

Entre ces deux écueils, l’œcuménisme cherche une juste relation entre les Églises.

Trois formes d’œcuménisme :

  • L’œcuménisme théologique : Travail sur les vraies et les fausses différences. Il cherche à rapprocher les positions et à se mettre d’accord sur les désaccords.
    Cet œcuménisme est important mais arrive un moment où les désaccords sont irréductibles et indépassables sauf à demander à une Église de renoncer à ce qui est pour elle fondamental.

  • L’œcuménisme de l’hospitalité : Démarche spirituelle qui prend en compte les différences, et qui cherche à accueillir et à aimer ce qui fonde ces différences. Œcuménisme qui consiste à s’inviter et se visiter les uns les autres. (Hébreux 13.1 : « N’oubliez pas l’hospitalité, il en est qui en l’exerçant, ont à leur insu, loger des anges.»)

  • L’œcuménisme de l’objection : Il ne s’agit pas seulement d’accueillir les différences, mais de demander à chacun de formuler les objections qu’il adresse à l’autre. Cela repose sur l’idée que chaque Église permet à l’autre d’éviter de tomber du côté où elle penche.
    Le protestantisme peut aider l’֤Église catholique à se préserver d’un absolutisme qui la menace. Le catholicisme rappelle au protestantisme que la théologie a une histoire, et que l’Église est universelle.

Exemple biblique : Dans l’épître aux Galates (chapitre 2), Paul parle de la grande question qui se posait à la première Église : la cohabitation entre les juifs et les non-juifs : fallait-il marquer cette différence et avoir des Églises séparées ? Ou abolir les différences ?
La question a été traitée à la rencontre de Jérusalem.
Après avoir évoqué les deux positions, Paul termine ainsi : « Lorsque Jacques, Céphas et Jean (chefs de l’Église) ont reconnu la grâce qui m’avait été accordée, alors ils nous ont donné la main droite à Barnabé et à moi en signe de communion. Nous irions nous vers les non-juifs, et eux vers les circoncis. Nous devions seulement nous souvenir des pauvres, ce que je me suis empressé de faire. »

Trois éléments dans ce texte peuvent inspirer le dialogue œcuménique :

  • Évoquer les différences : Paul aurait pu poursuivre sa mission sans se soucier de ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. Il a tenu à aller à Jérusalem pour les rencontrer et exposer sa position. Lorsque la différence est apparue irréductible, ils ont décidé de partir chacun de leur côté.

  • Se séparer en se donnant la main droite. Le signe est éloquent : tendre la main droite, c’est refuser de se séparer sans se donner mutuellement un signe de paix. Le geste a des allures d’une bénédiction « Que Dieu t’accompagne sur ton chemin ».

  • Faire ensemble tout ce qui est possible. Ne pas être d’accord sur les prescriptions du judaïsme n’empêche pas de s’occuper ensemble des pauvres.

Ce passage propose un chemin pour les relations entre les Églises :

  • Éclaircir les différences pour repérer celles qui sont irréductibles.

  • Honorer ces différences tout en appelant la bénédiction de Dieu sur les autres Églises.

Faire ensemble tout ce qu’on n’est pas obligé de faire séparément, notamment l’action sociale.

Merci à Jane-Marie Nussbaumer pour la retranscription de la vidéo.




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(Re-)découvrir le Sermon sur la Montagne depuis son salon

En période de pandémie, il est difficile de se projeter et d’envisager des déplacements ainsi que des rencontres avec de grands groupes. Le FREE COLLEGE et le Centre de formation proposent d’approfondir un texte qui est au centre de l'enseignement de Jésus depuis son fauteuil, une tasse de thé à la main.

Une occasion unique de découvrir Jésus dans une autre perspective!

Orateur

Claude Baecher, ancien pasteur des Églises mennonites et de la FREE et spécialiste de la question.

Quand

Tous les mercredi soirs à 20h15 du 2 janvier au 26 mai 2021.

Lieu

Depuis chez vous, sur Zoom.

Support matériel

Claude Baecher participera à la soirée en tant que consultant.

Prix

La participation à ces animations bibliques est gratuite, mais une inscription est nécessaire pour obtenir le lien à la connexion ZOOM. Ces soirées seront animées conjointement par Serge Carrel, journaliste, et par un pasteur d’une des Églises partenaires.


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Programme

1.      6 janvier : « Introduction au Sermon sur la montagne » (Mt 4.23-5.2)

2.      13 janvier : « Heureux ! » (les Béatitudes) (Mt 5.3-12)

3.      20 janvier : « Sel et lumière » (Mt 5.13.16)

4.      27 janvier : « Jésus et la loi » (Mt 5.17-20)

5.      3 février : « Priorité à la réconciliation » (Mt 5.21-26)

6.      10 février : « Pour des relations saines entre hommes et femmes » (Mt 5.27-32)

7.      17 février : « Parler sans tromper » (Mt 5.33-37)

8.      3 mars : « Comment faire face à la malveillance » (Mt 5.38-42)

9.      10 mars : « La spiritualité du Royaume » (L’amour de l’ennemi) (Mt 5.43-48)

10.   17 mars : « Une spiritualité centrée sur Jésus ou sur soi-même » (Mt 6.1-6 et 16-18)

11.   24 mars : « L’antidote à la prière païenne : le Notre Père » (Mt 6.7-15)

12.   31 mars : « Une manière révélatrice d’engager ses biens » (Mt 6.19-24)

13.   21 avril : « La peur de manquer et le Royaume de Dieu » (Mt 6.25-34)

14.   28 avril : « Contre le moralisme dévastateur » (Mt 7.1-5)

15.   5 mai : « Pas de contrainte, mais confiance en Dieu » (Mt 7.6-11)

16.   12 mai : « Contre les interprétations égoïstes et la course à la réussite » (Mt 7.12-14)

17.   19 mai : « Contre la boulimie du surnaturel et la recherche du sensationnalisme » (Mt 5.15-23)

18.   26 mai : « Contre les brasseurs d’idées justes qui en restent là » (Mt 7. 24-29)

Inscriptions et informations supplémentaires

Sur le site de la Free (lien ici).

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« Je ne lis plus ma Bible. Je la connais. »

« Je ne lis plus ma Bible. Je la connais. Il n’y a rien de nouveau pour moi. »

Ces paroles, dites récemment par une chrétienne, m’ont interpelée. C’est comme si elle me disait, « Je n’ai pas besoin de lire ce bouquin, car je connais la fin de l’histoire ».

J’ai l’impression qu’une partie des personnes de nos Églises n’a pas de contact personnel avec les Écritures en dehors du dimanche matin. Cela peut sembler paradoxal à une époque où nous disposons de nombreuses traductions de la Bible. (Le fait de posséder une Bible est relativement récent dans l’histoire du christianisme.) Par ailleurs, nous pouvons avoir avec nous en permanence plusieurs versions de la Bible dans notre Smartphone.

S’il est plus facile de lire la Bible à notre époque, pourquoi sa lecture semble-t-elle diminuer ?

Il me semble qu’Internet a induit un changement dans notre manière de lire et même de traiter l’information. Sur le web, nous sommes face à une quantité phénoménale et croissante de données. Une recherche sur Google nous donne, par exemple, plus de 800 000 résultats en 43 secondes. Et à chaque lien, à chaque clic, tout un univers d’informations s’ouvre à nous. Avec la multiplication de livres, courriels, SMS, sites Internet, revues, journaux, nous subissons une véritable surcharge d’information, « l’infobésité ».


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Il existe une telle augmentation d’information que nous n’avons pas le temps de tout lire ni la capacité de tout assimiler. Alors, quand nous lisons un texte quelconque, nous le traversons le plus rapidement possible, souvent en diagonale. Nous le parcourons à la recherche de l’information qui nous aidera à mieux fonctionner dans notre monde. Nous sommes dans une mentalité « d’information » et « de fonctionnalité »… prenant ce qui nous sert immédiatement. Internet nous donne l’impression que le but de la lecture, c’est une accumulation de connaissances, avec la découverte de la dernière nouveauté.

Quitter le mode informatif pour apprendre à méditer la Bible

Malheureusement, nous transposons parfois cette manière de lire au texte biblique. Nous feuilletons des passages à la recherche d’un nouvel éclaircissement, d’une nouvelle information ou connaissance. Et nous arrivons à ces phrases, « Je ne lis plus ma Bible. Je la connais. Il n’y a rien de nouveau pour moi »… comme si le but de la lecture biblique était uniquement la connaissance intellectuelle.

Prenons un exemple : Nous pouvons connaître Jean 3.16 et comprendre le sens des mots et l’idée de ce verset. Mais saisissons-nous vraiment au fond de nous, combien Dieu aime le monde ? Sommes-nous pénétrés par la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur de son amour pour le monde ? Ceci est plus que la compréhension intellectuelle des mots. Il s’agit d’une intériorisation, d’une pénétration de plus en plus profonde de la Parole en nous. Il s’agit d’écouter Dieu au travers de sa Parole et de se laisser transformer par cette Parole.

Lire les textes bibliques avec une mentalité d’information et de fonctionnalité, comme un texte sur Internet, c’est confondre connaissance intellectuelle et transformation de la vie. C’est confondre connaissance intellectuelle et connaissance du cœur dans une vraie relation avec Dieu, nourrie par une lecture méditée et priée.

Il est peut-être nécessaire, dans notre ère numérique, de réapprendre à lire… lire les Écritures de façon à mettre l’accent sur le développement de la relation avec Dieu et la transformation de la vie à sa ressemblance.

Linda Oyer.

Des lunettes anabaptistes pour lire la Bible?

Quelles sont, en matière d’interprétation biblique, les spécificités d’une approche anabaptiste ? Ou bien : existe-t-il des lunettes anabaptistes pour lire la Bible ?

Répondre à cette question n’est pas si simple. En effet, si on s’en réfère aux étapes « classiques » de l’interprétation biblique – observer le texte, l’expliquer en tenant compte de son contexte historique et littéraire, de son genre littéraire, à la lumière des autres textes bibliques s’y rapportant, etc. –, on pourrait être tenté de conclure qu’une lecture anabaptiste ne diffère guère, puisqu’elle intègre les mêmes éléments. C’est vrai. Cependant, elle comprend aussi certaines particularités qui méritent d’être relevées, car elles confèrent l’une ou l’autre couleur à ses lunettes.

Des précisions en Christ

            « Je ne suis pas venu pour abolir [la Loi], mais pour [l’]accomplir », a dit Jésus (Mt 5.17). Il indiquait en cela que si la première alliance gardait son importance, il n’y en avait pas moins avec et par lui des choses qui s’étaient précisées, développées, qui étaient arrivées à maturité (le sens du terme « accomplir »). C’est à partir de là qu’une lecture anabaptiste de la Bible insiste particulièrement sur trois aspects :

  1. il y a matière à parler d’un « canon dans le canon »

  2. la Bible doit être interprétée de manière « christocentrique » et

  3. en tant que révélation progressive, c’est-à-dire en tenant compte de sa « trajectoire rédemptrice ». Les expressions sont un peu complexes, nous allons les expliciter.

Un canon dans le canon

Par « canon dans le canon », on comprend (dans une perspective anabaptiste) que les Évangiles, qui relatent la vie, l’œuvre et l’enseignement de Jésus, jouent un rôle central dans toute interprétation. Ce ne sont pas uniquement le sacrifice à la croix et la résurrection du Christ qui comptent, aussi importants soient-ils, mais encore son exemple, sa vie, ses actions, ses paroles, ses attitudes, etc. Le Christ des Évangiles, « tout » le Christ, révèle le cœur et le projet de Dieu pour l’humanité. C’est pourquoi non seulement l’Ancien Testament doit être lu et interprété à la lumière du Nouveau, mais encore, dans ce Nouveau, les Évangiles forment la référence ultime. De là découle le deuxième aspect.

Interprétation christocentrique

La Bible doit être interprétée de manière « christocentrique ». La pointe ici est l’affirmation selon laquelle l’interprétation la plus juste d’un texte est celle qui se réfère de la manière la plus évidente à la mémoire de Jésus le Seigneur. Christ est la révélation parfaite de Dieu. Toute interprétation d’un texte se doit donc être en cohérence avec sa personne, sa vie, son enseignement, son œuvre. Le Sermon sur la montagne (Mt 5-7) occupe ici une place particulière. C’est pourquoi, par exemple, parce qu’une telle lecture s’opposerait à l’enseignement de Jésus sur l’amour des ennemis (Mt 5.44), il ne saurait en aucun cas être juste de légitimer le recours à la violence à partir de certains textes de l’Ancien voire du Nouveau Testament. Nous en arrivons au troisième aspect.

En fonction de la trajectoire rédemptrice - Shalom

La Bible doit être interprétée en tenant compte de sa « trajectoire rédemptrice ». Le Christ est venu instaurer son Royaume, en poser les fondements. Mais ce Royaume ne sera jusqu’à son retour toujours qu’en cours de réalisation. Le plein accomplissement est encore à venir. Le projet du Royaume se résume en un mot : le Shalom, état de bien-être, santé, abondance, sécurité, etc., tel que celui-ci peut exister lorsque les humains vivent dans des relations justes vis-à-vis de Dieu, les uns vis-à-vis des autres, et vis-à-vis de la création. La trajectoire qui se dessine, pour conduire à la réalisation de ce Shalom dans l’histoire humaine, intègre une justice divine visant en premier lieu la restauration des relations, la réconciliation. C’est-à-dire une justice qui, si elle n’exclut pas de « réparer » lorsque c’est possible, reste toujours au service de la paix et de la guérison (la justice « supérieure à celle des scribes et des pharisiens » dont parlait Jésus, cf. Mt 5.20). Concernant l’interprétation biblique, cette « trajectoire rédemptrice » devient le guide pour lire les textes le plus justement possible : on ne peut tirer d’un passage une application qui ne s’inscrirait pas voire serait contraire à l’accomplissement visé, à savoir la réalisation (dès maintenant et encore à venir) du Shalom dans toutes ses dimensions. 

La communauté

À ces trois aspects s’ajoutent encore, dans une lecture anabaptiste, deux insistances particulières. L’importance, d’abord, de la communauté. Pour les anabaptistes, le fait d’être membre d’un corps, le corps de Christ, concerne aussi la manière d’interpréter la Bible et de l’appliquer.

Sous la direction du Saint-Esprit, nous avons besoin les uns des autres pour tester nos compréhensions, les vérifier, peut-être les corriger, recevoir d’autres éclairages.

Cette interprétation communautaire se vit à différents niveaux, de l’Église locale à la communion de l’Église mondiale et dans l’histoire. Surtout, elle forme un cadre – un garde-fou – pour l’interprétation personnelle. L’application, ensuite. Le processus d’étude de la Parole a pour but de nous aider à être (plus) fidèles à Jésus, à lui ressembler toujours davantage tel qu’il s’est révélé et dans la perspective de la réalisation de son Shalom. Ainsi, disent les anabaptistes, les applications que nous tirons de nos interprétations sont autant de critères pour juger de la justesse de celles-ci. En d’autres termes : si notre ou nos interprétations conduisent à des attitudes qui ne manifestent pas ou moins la justice et le Shalom du Royaume, c’est qu’elles ne sont a priori pas justes.

Conclusion

Alors, avec ce que nous avons vu, existe-t-il des lunettes anabaptistes pour lire la Bible ? Oui, sans aucun doute, même si leur couleur se retrouve assurément au moins en partie aussi dans d’autres traditions. Cependant, par les accents qu’elles mettent en avant, ces lunettes méritent entièrement d’avoir leur place dans la grande famille des « opticiens bibliques ».


Avez-vous déjà entendu parler des Études Francophones de Théologie Anabaptiste? L’année actuellement en cours porte sur la Bible dans une perspective anabaptiste et décline ces idées de multiples manières.

Avec quelles lunettes lisons-nous la Bible?

La Bible est claire, disons-nous. Toutefois pour la lire et l’interpréter nous y posons notre propre regard. Que se passe-t-il alors ?

Le voyage du texte biblique

Le texte biblique a fait un incroyable voyage en traversant des millénaires à travers l’histoire humaine. Après les faits historiques de l’action de Dieu, les auteurs bibliques ont retranscrit dans leurs mots et dans leurs styles, inspirés par l’Esprit, la manière toute particulière dont Dieu est venu rencontrer l’humanité. À travers les textes, ils racontent ce que Dieu a dit et la manière dont il a agi en interaction avec les humains de son temps.

Un voyage dans le temps

La première difficulté à laquelle se heurte le lecteur ou la lectrice dans l’interprétation de la Bible est la distance fondamentale entre son monde et celui des auteurs bibliques. Le monde était bien différent à l’époque des prophètes, de Jésus et des apôtres, de ce qu’il est aujourd’hui. Les cultures des temps bibliques ressemblaient bien plus à celles du Moyen-Orient qu’aux cultures occidentales contemporaines. À force d’étude, cette distance peut être réduite, et le lecteur peut s’approcher davantage du texte et goûter à ses subtilités.

Un regard situé

Pourtant, même dans cette proximité, le regard du lecteur reste humblement situé, teinté, limité. Il ne peut revendiquer un regard absolu sur le texte tant il est façonné par ce qu’il est et le monde qui l’environne. En effet, son regard est l’intermédiaire entre le texte et l’expérience de la foi, entre le témoignage ancien rapporté dans l’Écriture et le témoignage actuel – c’est-à-dire la manière dont il devient Parole de Dieu pour aujourd’hui.

Les lunettes avec lesquelles nous lisons la Bible

Le regard de l’interprète de la Bible est situé et teinté de multiples façons. Il porte des lunettes colorées par sa culture familiale et nationale, par sa tradition d’Église, par son sexe et la manière dont cela a forgé sa vision du monde, par sa personnalité qui lui fait relever certains thèmes plus que d’autres, par ses expériences et les convictions qui en découlent, par les questions qui le taraudent et pour lesquelles il cherche une réponse dans le texte, par son environnement, par ses luttes et par ses présupposés.

Au mieux, il porte des lunettes colorées qui ne l’empêchent pas d’accéder au sens du texte, bien que son regard soit partiel parce que coloré. Au pire, il porte des lunettes qui déforment le regard et qui l’empêche de saisir ce qui est écrit. Comment par exemple, laisser résonner la pertinence de l’interpellation du Nouveau Testament sur le rapport aux biens, quand le lecteur contemporain ne peut s’imaginer un monde hors du capitalisme ? Comment penser la dignité de la personne humaine dans un univers où le fonctionnement sociétal est basé sur le principe de l’esclavage des uns vis-à-vis des autres ?

Le regard porte la marque de tout ce qui catéchise l’interprète au quotidien et l’instruit dans son rapport au monde. Il porte la marque de la grâce, mais aussi celle du péché. Bien malgré lui, le regard occidental est teinté de consumérisme, d’individualisme, et des idéologies de son temps. Ces idéologies, dont le lecteur ne peut être dépouillé tant elles le façonnent le plus clair de son temps, peuvent avoir le mérite d’interroger le texte d’une manière nouvelle. Elles sont alors une couleur dont il est bon que l’interprète ait conscience. Les croyances ambiantes doivent être évaluées dans leur contenu – leurs forces et leurs faiblesses – et mises en dialogue avec l’exemple de Jésus et l’histoire du peuple de Dieu. Cependant, ces valeurs, souvent non-formulées, limitent bien souvent le regard et empêchent l’interprète de poser des questions pertinentes au texte.

Si toute lecture est située, comment donc s’assurer d’avoir une compréhension riche de ce que l’Esprit veut dire et montrer à travers l’Écriture ? Grâce à Dieu, le corps de Christ est multiple ; il brille de diversité. Le lecteur et interprète de la Bible fait partie d’une communauté de lecteurs et de lectrices qui ensemble, avec leurs différentes lunettes, peuvent rendre au texte toute sa richesse. Quand les regards partiels se croisent, il est possible de mieux discerner le sens d’un texte.

Croiser les regards

Durant les 2000 années d’histoire de l’Église, la Bible a été interprétée par un regard relativement monolithique : elle l’a été par des hommes blancs occidentaux et économiquement favorisés. L’observation de toute bibliothèque de théologie confirme le constat.

Pourtant, si l’on prend au sérieux le fait que Dieu s’adresse, par sa Parole, à son peuple dans son ensemble, il devient évident que d’autres voix doivent être prises en compte. D’autres regards situés permettent de saisir ce que Dieu veut dire à son Église et discerner une parole plurielle pour aujourd’hui. À celles des hommes blancs occidentaux économiquement favorisés, il est essentiel d’adjoindre celles des femmes qui représentent la moitié de l’humanité, ainsi que celles issues d’autres cultures et de personnes économiquement défavorisées. La pluralité des regards est indispensable au discernement d’une parole pour une Église multiple, pour un monde multiple.Je suis toujours à nouveau étonnée quand j’entends la manière particulière dont le texte résonne dans la vie de ceux qui vivent dans un autre monde que le mien:

  • Dans le regard d’un prisonnier ou d’une esclave, les paroles de libération de Jésus résonnent d’une profondeur incroyable. Leurs voix ouvrent de nouveaux possibles et mettent l’Église en marche.

  • Dans le regard d’une femme d’origine musulmane, l’histoire de Sarah et d’Agar retentit différemment. Elle ouvre la possibilité d’une voix pour les oubliés et les méprisés de l’histoire.

  • Dans les mots d’un pauvre, le partage des biens dans les Actes crée une espérance nouvelle. Sa voix interpelle les riches dans le concret de la vie.

  • Dans le regard d’un jeune enfant qui a subi l’exploitation humaine dans les mines de cobalt, la question de la justice et du péché prend une couleur moins conceptuelle. Le jugement de Dieu prend une autre couleur. Il devient bonne nouvelle pour le monde.

L’Église a besoin de ces différents regards pour discerner avec sagesse la parole de Dieu pour aujourd’hui. Elle a besoin de ces différentes lunettes pour élargir sa vision de ce que Dieu a fait et de ce qu’il veut encore faire aujourd’hui. Ces regards font remonter à la surface des profondeurs inexplorées du texte. Des lectures situées autres que celles avec lesquelles nous ronronnons permettent non seulement une addition de regards, mais aussi une transformation du regard de tous.

A la question de savoir si le fait qu’il y ait plusieurs prédicateurs assure une multiplicité de regard, je réponds: Existe-t-il une diversité parmi vous? Une diversité de spiritualité? Une diversité culturelle? Une diversité de genre? Une diversité économique? Alors oui, vos regards se complètent et enrichissent la manière dont la Parole résonne.

Que le Saint-Esprit nous guide ensemble, nous, corps du Christ, toujours davantage à la suite de Jésus. Prions pour que l’Esprit nous donne, ensemble, son regard pour que nous puissions puiser abondamment dans les richesses de l’Écriture. Par grâce, sa Parole nous parle encore aujourd’hui. Malgré la distance, nous pouvons l’habiter ensemble, à la suite du Christ.


Article paru dans Bienenberg Magazine 2019 disponible en téléchargement ici.